Entretien avec Jean-Laurent del Socorro

Bilan et perspectives avec le rédacteur en chef de Galaxies

(avril 2015, in ActuSF)

ActuSF : En ces temps difficiles en librairie, comment se porte la revue Galaxies ?

Pierre Gevart : « Elle se porte sur ses deux jambes » répond Madame Jourdain, chez Molière. Mais quelles jambes, alors ? À bien y réfléchir, un peu plus que deux. Galaxies, c’est un lectorat fidèle d’abonnés toujours passionnés, et qui n’hésitent pas à le faire savoir. C’est devenu aussi, au fil du temps, une équipe qui, pour peu qu’on essaie d’en faire le décompte, représente finalement pas mal de monde, une vingtaine, et c’est encore une variété, avec les deux Galaxies/Mercury annuels, et même la petite sœur Géante rouge, menée de main de maître par Patrice Lajoye. Bref, une revue qui se porte bien, un vaisseau qui tient bien la mer, ou, au cas d’espèce, l’espace.

ActuSF : Le numéro 34 de Galaxies est paru en mars. C’est un numéro particulier avec un dossier Brésil mais également un hommage à Michel Jeury. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Pierre Gevart : Je crois que tous les numéros de Galaxies sont particuliers. Chacun par définition avec son dossier, ses nouvelles, ses articles. A ce titre, celui de mars présente en effet un dossier sur le Brésil, ce qui se place dans la droite ligne éditoriale d’une revue qui veut aller chercher la science-fiction partout, dans toutes les langues où elle se pratique, cette fois avec le grand pays lusophone d’Amérique latine, et aussi, parce que les circonstances en ont malheureusement donné l’occasion, un hommage à Michel Jeury. 

ActuSF : Quelle place a pour vous Michel Jeury dans l’histoire de la science fiction en France ?

Pierre Gevart : Vous savez qu’on compare parfois Michel Jeury à un Philip K. Dick français. C’est bien entendu une comparaison pertinente, par la nouveauté que l’œuvre de l’un et l’autre auteur ont apporté dans l’écriture de science-fiction. Mais en même temps, comme toute comparaison, elle est dangereuse. Michel n’est pas le pendant, le miroir au rabais de Dick, et je ne pense pas que son objectif ait été celui-là ! Si nous lui avons réservé cet hommage, c’est parce qu’il a apporté, en termes d’univers, de prise de possession de la langue, d’inclusion de la science-fiction dans le domaine littéraire, quelque chose qui a très certainement « débloqué » toute une génération (et peut-être plusieurs) d’écrivains. Et puis, Michel Jeury faisait aussi partie de Galaxies, et nous avions envie de lui rendre le plaisir immense qu’il nous avait fait en nous offrant quelques-uns de ses derniers textes. 

ActuSF : Comment se porte la science fiction au Brésil ? Y’a-t-il là bas de la fantasy ? Y’a-t-il des spécificités des littératures de l’imaginaire brésilienne ? Et s’il ne fallait lire qu’un seul auteur brésilien, vous nous conseilleriez lequel ?

Pierre Gevart : Ce ne sont pas des questions pour le rédacteur en chef ! Ou plutôt, ce sont des questions pour lesquelles le rédacteur en chef vous conseille d’aller trouver les réponses dans le dossier que Jean-Pierre Laigle a réuni sur le sujet. Et quant aux auteurs à lire, commencez par Schima et Calife. Et ça tombe bien, il y a une nouvelle de chacun dans Galaxies (lol). 

ActuSF : La revue a beaucoup exploré les imaginaires d’autres pays. Dans lequel les littératures de l’imaginaire marchent le mieux ? Quelles sont les plus grosses surprises pour vous ?

Pierre Gevart : Chaque découverte d’une nouvelle science-fiction est une surprise. Il y a eu longtemps cette restriction de notre champ visuel à la SF anglo-saxonne et à la SF française. A tel point qu’il semblait à beaucoup inconcevable d’aller chercher plus loin. Comme si le reste ne comptait pas, n’était que du plagiat, forcément moins bon. J’ai ainsi entendu un auteur français – parfois mieux inspiré – soutenir par exemple que la SF arabe n’était qu’une pâle copie de la SF américaine des années 50. Quelle connerie aux relents néo-impérialistes ! Ce qui est extraordinaire, justement, c’est que chaque SF mixe certes un courant d’inspiration futuriste (qui n’est d’ailleurs souvent qu’un présentisme déformé aux fins de démonstration) avec une culture nationale. La SF arabe s’appuie sur l’imaginaire des mille et une nuit, sur la situation présente au moyen-orient et sur les aventures de Nasreddine Hodja, la SF russe (qui en librairie, là-bas, ne se distingue pas du fantastique ou de ce que nous appelons la fantasy) sur l’imaginaire et les légendes russes, la SF indienne (sans doute ma plus grosse surprise, avec sa production surabondante et ancienne en plus de vingt langues) sur le Mahabarata, etc. La vraie difficulté, c’est la rareté des traductions en français ! Et c’est ici que Galaxies intervient !  

ActuSF : Vous avez repris les commandes de Galaxies en 2007. Quel bilan tirez-vous des ces 8 années ?

Pierre Gevart : Un bilan plutôt positif, je pense. À la sortie du N°2, un chroniqueur mal inspiré avait prédit sur un forum – défunt depuis, ou peu s’en faut – la « mort annoncée » de la revue. Typiquement le genre de prophétie qui m’encouragerait à continuer si jamais il me prenait la sotte idée d’arrêter ! D’autant que je n’ai aucune envie d’arrêter. Le pari a été tenu. Quand nous avons repris le flambeau, nous avons pris l’engagement de servir tous les abonnements de l’ancienne revue, et nous l’avons fait, malgré tous ceux qui criaient « casse-cou », et malgré aussi quelques casse-c… qui ont tout fait pour nous pousser vers la sortie. Vous l’avez remarqué, ceux-là, nous leur donnons une réponse proportionnée à leur importance : nulle. Le bilan, c’est la rencontre, d’abord avec des auteurs variés, nouveaux, anciens, sans a priori, puis avec les lecteurs, et plus largement avec le monde de la SF. Et ce bilan est extrêmement positif. A titre personnel, je n’en aurai jamais fini de remercier Stéphanie Nicot de cette superbe opportunité qu’elle m’a donnée de continuer à faire vivre le titre qu’elle avait créé. Bien entendu, nos styles, nos approches peuvent diverger, et c’est tant mieux, comme elle le dit elle-même, car cela montre bien notre indépendance, notre goût de la liberté, et notre plaisir. Car Galaxies, pour ceux qui la font vivre, c’est d’abord du plaisir.  

ActuSF : Avez-vous pu tenir la ligne éditoriale que vous vous étiez fixée ?

Pierre Gevart : Oui, je le pense. Une ligne construite autour de la recherche de la SF d’autres cultures (avec bientôt, dans le N°39, un dossier sur le Japon, par exemple), mais aussi de thèmes (dans le prochain numéro, un Galaxies/Mercury numéroté 35, Andrevon nous donne un long article sur les dinosaures dans la Science-fiction, mais encore d’auteurs, autant classiques (Jacques Sternberg dans le numéro 36, Nathalie Henneberg dans le 38) que nouveaux (Nous retrouvons Ken Liu et Aliette de Bodard dans les N° 37 et 38, un dossier sur Laurent Whale dans le 36, qui offrira donc deux dossiers, entre autres), une volonté de faire sortir (avec souvent la complicité de Géante rouge) de nouveaux auteurs, de renouveler les générations, et puis toujours une porte ouverte à tout ce qui vient enrichir l’univers si dense de la SF.  

ActuSF : Pouvez-vous dire un mot du fanzine Géante rouge et de ses passerelles avec Galaxies ?

Pierre Gevart : Ce n’est pas un mot qu’il faudrait consacrer à Géante rouge ! Contrairement à Galaxies, Géante rouge ne publie que des auteurs français ou francophones, avec un ou deux dossiers d’auteurs de cette génération (une notion qui n’a pas trait à l’état-civil, mais à l’entrée en écriture) et beaucoup de nouvelles. Et cela, c’est une ligne tenue depuis la création du fanzine, en 2005, dans le cadre de la préparation de la Convention nationale française de 2006. Géante rouge ne devait pas dépasser quatre numéros, et elle en est au 22. Dès la reprise de Galaxies, j’ai souhaité me dégager de la direction du fanzine, mais pas faire disparaître celui-ci. Les relations entre les deux sont constantes. Systématiquement, nous renvoyons vers l’équipe de Patrice tous les textes en français qui nous sont transmis par de nouveaux auteurs, et parfois, Patrice nous en redonne un, et c’est directement Galaxies !  

ActuSF : Le prochain numéro comportera un dossier sur la science fiction et les Dinosaures. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer cette thématique ?

Pierre Gevart : Il y a des tas de façons de trouver le thème des dossiers. Ici, Andrevon a soumis l’idée, nous en avons discuté en comité de rédaction (toujours en ligne, d’ailleurs, Galaxies est aussi une revue accessible en ligne), et nous avons accepté. Parfois ce sont les circonstances, parfois un dossier tout prêt, comme celui que nous prépare Denis Taillandier sur le Japon, parfois une sollicitation, ou encore un dossier que je construis moi-même. Pas de recette systématique, donc, mais une recette miracle, faite de curiosité, et de confiance accordée aux responsables des dossiers.

ActuSF : Quels sont vos prochains dossiers ?

Pierre Gevart : Je pense déjà avoir bien répondu à cette question. Mais je vais encore vous donner quelques pistes. Dans le prochain numéro, à côté du dossier Dinos, vous trouverez un hommage à Wolinski, avec qui Andrevon a voisiné à Charlie, et qui, même si ce n’est pas purement de la SF (mais il en a dessiné), a pleinement sa place. Une couverture aussi de Jérôme Zonder, qui expose actuellement à la Maison rouge, dans le douzième arrondissement de Paris, une œuvre gigantesque par sa force, sa violence maîtrisée, son impact. Un roman inédit de Nathalie Henneberg, le dernier de ceux que Jacques Van Herp lui avait commandé pour la collection SF du Masque, et que nous avons retrouvé. Et puis des nouvelles inédites de Sylvie Denis, Joëlle Wintrebert, Sylvie Lainé, entre autres, et pour ne citer que les prochains numéros… Merci pour cette interview !

Jean-Laurent Del Socorro