Période
PROMESSES
Quinze ans après
L'ami retrouvé avait pris quelques rides
Et, le cheveu blanchi,
Nous aurions pu très bien
N’avoir rien en commun
Que ce passé ranci
Nous en avions pourtant
de si beaux souvenirs
*
PERIODE
Le matin était rouge, plaie béante du jour qui déjà saigne.
L'air était frais.
Je m'étais arrêté, à bout de fatigue et de souffle, au bord de la falaise.
La mer y rugissait.
Léonard avait parlé longtemps, la veille, trop longtemps pour que je me souvienne des phrases parcourues.
Nous avions chevauché nos chimères usées, nous avions retourné le foin de nos pensées, bavardé.
Des oiseaux passaient en hurlant, stridence blanche et grise sur le globe amarante.
Bleuté maintenant, l'horizon se masquait de brouillard.
Le vent soufflait.
Nous avions, le soir, commencé à parler je dirais par hasard. Il nous fallait surtout barrer d'un trait de rame l'océan écoulé des années séparés.
Je reprenais haleine doucement comme le jour montait.
Léonard !...
Trois cents pieds au dessous, des vagues éclataient.
Mes rêves se brisaient.
Léonard !...
Nous en avions voulus, jadis
Il y a longtemps,
Des filles consentantes, des amis complaisants, des rives accueillantes.
Nous en avions brûlés, des avenirs rêvés, des futurs impossibles.
Il m'en avait promis, de ces voiles claquantes, et aux crêtes d'écume, des coques ruisselantes, des plages éclatantes, des tropiques brûlantes, des années haletantes.
Léonard!...
Sphère d'incandescence, le soleil se hissait, précis, sans faire un bruit. Ses rayons me brûlaient.
J'étais ivre de ma course, de mon geste, de moi-même. Plein de mon être.
Je revivais...
*
DEMAIN VENAIT INEVITABLEMENT
La nuit se déchirait
parfois
Et ses lambeaux rougis
Partaient en dérivant
Loin de mon insomnie
La nuit se diluait
souvent
Dans un brûlant alcool
de rêves
Et puis les jours revinrent
de notre conscience
La sensation aiguë
d'une lumière
lame
Tranchant le songe
Je me disais que les chemins bientôt seraient noyés
dans le bitume
Que des murailles de béton en bord de mer
effaceraient l'écume
Je me disais, les yeux gonflés,
"Le rêve est mort"
Et j'attendais les lendemains sans joie,
Les avenirs sans certitude
Et j'errais de minute en seconde,
de jours en mois,
ma solitude
Et puis demain, inévitablement,
demain venait,
et j'oubliais
*
CEPENDANT QU'IL ALLAIT
"Allons"
disait celui qui marchait
"Allons"
et son pas s'allongeait,
cependant que, lourde,
collante,
la fatigue venait
Lui, déjà loin devant
Son courage gonflé
Comme un génois géant
Mais nous traînions la patte
Nous le laissions filer
dessus son erre,
à son errance
Nous n'étions déjà plus
vraiment la même troupe
Il nous tardait qu'il disparut
Et nous avons coulé
en méandres multiples
nos chemins doucement,
Cependant qu'il allait
*
LA CRINIERE DU FLEUVE
Longue coulait,
chevelure liquide,
la crinière du fleuve
au milieu de la plaine
emportant doucement
sa charge de limon
Notre barque glissait
silence, paresseuse
où nous discutions
de rien ou bien de tout
de la couleur des blés
des colères des Dieux
Nous allions,
immobiles, inertes,
nous voguions
*
EVEIL
Léonard se leva soudain
Il avait soif
Il se pencha par dessus le plat bord
Et puisa dans l'eau trouble,
entre ses paumes jointes,
vasque tiède, le liquide sableux.
Il en coula sur son visage,
Il but.
Son mouvement,
quand il revint s'asseoir,
imprima au bateau
un roulis perceptible.
Nous ne parlions plus,
le soleil se couchait
Demain serait un autre jour,
différent sans doute,
violent peut-être.
Il flottait dans le crépuscule,
inquiétude, une attente menace.
Nous étions bien
ITO
Lente maturation de l’œuvre
Huit ans !
Il a fallu ces huit années pour que ce crépuscule
Eclose,
Fécondant l'image ancienne déjà des soleils
Huit ans de gestation sans qu'en moi je le sente vivre.
Mais il vivait
Et un jour, clandestin, il a surgi
Sur la feuille couchée
Et il n'eut plus cesse que de naître.
*
LE BARRAGE
C'était, nous le savions,
déjà le dernier jour.
L'eau couvrirait demain
la place du village
Puis monterait encore,
lourde et inexorable,
Jusqu'aux toits des maisons
jusqu'au coq du clocher
Ici, dit Léonard,
Ici, je voudrais vivre
Et posant ses paquets,
Il alla s'installer sous le préau de bois
de la petite école
désaffectée depuis longtemps.
On aurait dit qu'enfin il arrivait au port
Ici, vois-tu,
Ici, je veux vieillir,
Jusqu'à demain, au moins,
Puisqu'est compté le temps
Il ne dit rien de plus
Comme le soir tombait,
un chien vint nous flairer
Léonard découpa une tranche du lard
qu'il avait découvert, oublié, dans un chais
Il la donna à l'animal
qui aussitôt partit.
Je le vis bien encore,
Silhouette lunaire,
Humain face aux étoiles,
Au milieu de la nuit.
Puis le sommeil me prit.
Dépêche-toi, petit,
Murmura-t-il à l'aube,
Déjà prêt, ses vêtements roulés
sur son épaule,
plus pressé que jamais.
"Elle est là."
Et de son doigt tendu il indiquait la flaque, langue de mercure fangeux, rampant sous une brume grise, implacablement avançant.
"J'avais aimé ma vie ici,
J'ai aimé y vieillir" et je lus dans ses yeux infiniment de tristesse et de joie.
Quelque part, il fallut patauger pour passer la vallée. Le soleil déjà transperçait le brouillard.
*
LES ANNEES ONT PASSE
Les années ont passé,
comme ces grands oiseaux
planant sur les roseaux
des dunes de Nordsee
Goélands emportant une furtive image
aussitôt oubliée
de destins déliés
d'amours abandonnées
Errant sur le rivage
Leur troupe revenait, parfois, folle glissade
Leurs becs, précis scalpels
Ouvraient l'eau sous leurs ailes,
Vite ils reparaissaient, gorgés de leurs proies fades
Mais qu'importait, alors ?
Une pluie emportait
Les pas indifférents
De ces jeunes amants,
Fous, ignorant encore
Qu'ici leur vie finit
Les années ont passé,
Invisibles chimères
déchirant la misère
des futurs effacés.
*
JE NE SAVAIS PAS
Comment jamais savoir
S'il fera jour ou noir,
Si le bout du chemin
Est à portée de main?
Comment jamais prévoir
Jusqu'où garder l'espoir?
Ainsi nous parlait Léonard
Et quelqu'un, dans le soir,
pleurait sur sa guitare
Moi, je fermais les yeux
J'oubliais notre route
Nos godillots trop vieux
Nos jambes fatiguées
Nos espérances rances...
Je me prenais à croire
encore
Je me prenais à l'illusion
de tout à repenser
de notre voyage à écrire
de méharées à découvrir
Et puis tu te taisais,
T'allongeais près du feu,
sans un mot t'endormais
Alors mon regard se mourait
dans un dernier éclat de braises
Et je me prenais à penser
que ce jour était le dernier
Mais dès le matin, Léonard
Tu repartais en page blanche
Il me semblait que ton passé
Glissait sur toi sans te blesser
Car je ne savais pas, Léonard
Car je ne savais pas...
*
DESERT
J'en ai connues aussi, après,
Des méharées nocturnes
Quand, réglée sur la Lune,
Notre piste filait.
Le matin nous trouvait,
Installés sur le sable
Dans la hammada rouge
D'où le soleil montait
Nous regardions pendant
Que preste sous l'alpha
Glissant, crissant, rampant
Toute vie s'abritait
Puis venait la brûlure
Et nous tournions nos pas
Vers l'oasis, là-bas
Le pisé, la fraîcheur
Et le jour s'écoulait
SIJILMASSA
Il traîne encore, là-bas,
Dans les sables usés
Un écho de vieilles tempêtes
Poussant les grains rouillés
Que le vent arrache au désert
Une musique Sahara :
Les roses de Sijilmassa.
Sijilmassa s'efface lentement
Les caravansérails, éventrés
Laissent passer un sirocco méchant
Dont chaque langue encore,
Chaque souffle râpeux
Erode davantage les murailles déchues
Et pourtant il subsiste,
Palme, safran, coriandre
Une senteur d’offrandes
Et dans les rues perdues,
Le lent cheminement
De méharis rompus, et le pas régulier
Des conducteurs Targuis
Où es tu donc passée,
La cité des merveilles
Et des femmes chargées
De bijoux ouvragés,
D'étoffes rutilantes
Et de parfums troublants?
Que sont donc devenus
Tes jardins renommés
Tes fleurs aux couleurs tendres
Tes poèmes d'amour
Et tes précieux négoces?
Tu disparais, indifférente
A ces gamins qui jouent
Se cachent en les cloisons
Des chambres des sultanes
Sans savoir, sans rien voir
Il ne subsiste plus,
Dedans notre mémoire
Comme une autre légende
Qu'une chanson Fezzane
Parlant de tes fontaines,
Des femmes et des roses
Il n'y a plus qu'un rêve
Qu'un mot sésame pour
Les portes du délire
Et le vent du désert
Traînant ses sables fous
Sur quelques tas de terre.
*
SCARABEES
Doucement j'avançais
trois scarabées
trois rubans guillochés sur le sable
froid encore
mais déjà rose
Les insectes couraient
leurs dix-huit pattes
accrochant les quartz qui roulaient
filant, filant
Mon fils et ma fille,
muets encore de leur sommeil inachevé, de la piste à la lune, des cahots de la route,
laissaient couler les grains
entre leurs doigts agiles
Il allait se passer sans doute
l’événement le plus
étrange
et le plus quotidien
Tout un déferlement de chaleur,
d'énergie, à blanchir le métal des voitures, à brûler les épidermes tendres et les palmiers blasés.
Mais rien, aucune odeur,
rien que ce col bien relevé,
serré, contre le souffle frais
et quelque part sous l'horizon,
source du halo pâle
un soleil...
Alors nous nous assîmes contre la dune fraîche d'où les coléoptères de longtemps avaient fui, attendîmes l'aurore, et que nos yeux brûlassent.
*
OU TON VERBE RESONNE
Il y a des jours, dit-il
Où le cerveau bouillonne,
Où des musiques montent
A travers tes pensées
Où des chants magnifiques
T'hypnotisent, tropique,
Et te métamorphosent
Il y a des jours, des nuits,
Où, entre mille choses,
Tu prends dans ta journée
Le pétale de rose
Froissé entre tes doigts,
Chiffon envahissant
Pour en faire l'aurore
Il y a des nuits, des jours
Où ta peau vibrionne
Où ton regard s'allume,
Où ton verbe résonne
Il y a de ces moments
Où tu es le futur,
Où tu te possessionnes
Où tu es tout
Où tu sais tout
Il y a des jours, dit-il
Où ton cerveau explose.
*
DEPART
C'était près de minuit
Nous ne savions plus bien
Quels chemins parcourus,
Quelles routes croisées.
La Lune nous manquait
J'avais un vieux manteau
De rêves rapiécés
Avec du fil d'espoir
Et des poches percées
Tu n'avais guère mieux.
Nous avions chevauché,
Le vent griffant nos yeux,
Nos chimères usées,
Fatiguées, faméliques,
Nous cherchions un relais
C'est alors que tu dis,
Les mots m'en sont restés,
"Séparons nous ici,
Chacun de son côté."
Puis tu tournas la bride
Le vent me transperçait
De solitude froide
Je voyais se noyer
Toi et ton palefroi
Je m'étais tu.
Rien pour te retenir
Rien non plus pour te suivre
Pas d'argumentations,
Pas question de logique
Je m'étais tu
La nuit dura longtemps
Je m'étais assoupi
Dans le manteau mité
D'un sommeil perturbé
Seulement par le vent
*
PROSPECTIVE
Un jour peut-être,
Un jour sans doute il y aura
Un ciel d'acier
Fermé, morne, mortel
Un ciel gris métallique.
Aubes, aurores, crépuscules,
Rosissements, coulées,
Embrasements des cieux,
Voilés, se réduiront,
Mathématiques
A la rigueur très mécanique
De lois, de constantes astronomiques
A heure fixe,
Couleur normalisée,
Nuages programmés,
Chape inhumanisée.
Alors, si tu es encore là,
Si par malheur j'y suis aussi,
Nos errements, tu sais,
Ne voudront plus rien dire.
*
NOUS N'EN FINIRONS PAS
Nous n'en finirons pas,
Nous n'en finirons pas,
Toi et moi
D'échanger au delà de la mort
Peut-être
Notre amitié
Nous n'en finirons pas