Scandinaves
(LE CAHIER BLEU)
En 1999, nous avons bouclé un tour de la Baltique.
Chaque jour, au campement, j'ai écrit quelques mots, un poème, sur un cahier bleu...
1
L’Allemagne,
A traverser d’un coup,
L’autoroute, comme un wagon plombé
Vers quelle révolution des idées ?
Mais fini le temps des révolutions. Voici venu celui du tourisme !
L’Autoroute
Et des paysages défilent
Au loin, des villes
Des hommes ?
2
Danemark...
Lent brassage du vent
Les pales blanches
Des éoliennes
Qui vont et viennent
Le voyage commence...
3
Copenhague
Un visage de bronze
D’une infinie tristesse
Je me demande
ce qui pousse les gens
à venir de si loin
vers sa légende
Elle, regard tendu vers l’occident
Où le Soleil se perd
Et les amours
Dans cet embrassement
Du ciel et de la mer...
Les gens viennent ici,
caressent ta poitrine,
chacun seul dans la foule
avec l’ondine
Et de s’interroger
sur la morale de l’histoire
Toi, la petite sirène,
Pleurant sur ton destin
Comme chacun, sans doute
4
Dressée dans la nuit,
hiératique sculpture,
dont la découpe symétrique
tranche l’obscurité de sa netteté métallique,
la cheminée, orgueil d’acier et de peinture,
crache l’âcre fumée du navire
Ecoute :
quelque part, les machines vrombissent
et font vibrer la coque.
Et des hommes
Qu’enveloppe l’odeur puissante du gazole
Travaillent
5
Tout à l’heure, nous avions cheminé
Au long de la langue de sable
Où s’affrontent deux mers
Une vague immobile,
Longue crête mourant au large
Marquait cette rencontre
Ainsi, tellement identiques,
Et différentes tellement,
Les eaux longuement hésitaient
à se mêler.
6
Et les chaudes couleurs
des maisons de pêcheurs
où sèchent des poissons
à la puissante odeur...
7
C’est là-bas, quelque part,
Tout au pied de ce phare
Dont le faisceau qui luit
Palpite dans la nuit...
8
Norvège
Et l’arrivée,
Au petit jour
Quand, de la brume qui flotte,
Emerge une côte nouvelle.
Moi, debout à la proue du navire, glacé dans cet air matinal, avide de tout voir, d’observer, de retenir chaque détail, chaque couleur, chaque rocher de ce rivage
Et sachant bien que cet instant,
à jamais
est premier.
9
A Bergen,
Encadrant les ruelles de bois du quartier allemand, qu’on ne détruira pas, les maisons des marchands ont trouvé leurs couleurs nouvelles,
Petit à petit,
Le désespoir des apprentis
La mort si lente !
S’égoutte des soupentes.
Je les imaginais, transis, abrutis de travail et de froid, sans lumière ni feu, tassés à deux par lit, les cadets des familles teutonnes.
Et, s’ils vivaient, quels avenirs ?
L’espoir un jour de rentrer au pays,
à peine un peu moins pauvres.
Huit hivers en enfer !
Leur sacrifice, c’était la grande Hanse
des drapiers de Hambourg...
10
Cette eau...
La fraîcheur de cette eau...
Et à perte de vue, la surface à demi gelée.
Plaques de neige à la dérive...
Cette couleur turquoise !
Je m’en suis approché
M’y suis agenouillé
J’y ai plongé la main
Cette fraîcheur !
Alors, j’ai bu, lapé à même la surface, dans mes paumes, arrondies en coupe, le liquide cristal.
J’ai étanché ma soif
11
Si loin que portait le regard,
la montagne,
et puis la neige,
le glacier,
Et, par dessus,
L’écharpe déchirée de nuages stratus.
Quelques troupeaux erraient,
Egrenés dans le paysage,
Et là, les cubes incongrus
Des maisons des bergers.
12
Ce « je-ne-sais-quoi »
Cette alchimie
Eau, rocher, lumière
J’aime l’explosion des cascades, et les arcs de couleur qu’y jette le soleil
Cette magie
S’effaçant lentement, l’empreinte des pieds nus sur le gneiss de la rive
Des pics déchiquetés
Mille mètres à pic
Des routes en lacets
Des légendes magiques
L’eau
Partout l’eau
Le miroir calme de l’étang
Et la furie des cataractes
13
Le dimanche, à Trondheim,
Il ne se passe rien,
ou presque
Les musées sont gratuits
Les restaurants fermés
Les pizzerias très chères
D’ailleurs, elles ne sont pas typiques...
A l’entrée de la Cathédrale,
Des prêtres, aux lourdes robes de velours
Distribuent des livres de messe
Sous les voûtes de pierre grise
Et, sous l’arche rouge du pont
Des entrepôts sur pilotis
Alignent leur ennui
Le dimanche, à Trondheim,
Il ne se passe rien,
ou presque
14
Cercle polaire
La voici donc, cette ligne mythique !
Au nord, ce monde étrange,
Où le Soleil, parfois,
Oublie de se lever
Et où la nuit, l’été,
Prend son congé
Nous étions là,
Debout
Au vent glacé.
Autour de nous,
innombrables,
Des pierres empilées,
Et nos regards perdus vers les cieux boréaux
Cet inconnu
Cette aventure
Aux vastes déserts blancs
de notre imaginaire
15
Soleil de minuit
La nuit sans nuit
Et je suppose l’ennui
-opposé-
Des jours sans jour,
L’hiver
Quand la clarté crépusculaire
Jette une brume mauve
Sur les longs champs de neige
Les hommes,
Ils s’enferment, je crois,
Dans les maisons
Ou bien encore,
Les chaluts à la traîne
Ils pêchent les morues
Ou alors,
bravant le monde
Harponnent la baleine
Ici, aux Lofoten
16
Il tombait sur les îles
Une bruine tenace
Le séjour s’achevait
L’impatience guettait
Cette étrange impression !
L’île se fait prison
Et on voudrait s’enfuir
Alors, s’enfuir très vite...
Le premier bateau au départ,
Ces jours-là,
Est le bon
Voilà la chaleur moite des salons, des bars
Et le discret parfum de la bière moussante
Quand se passe la traversée
Et que commence le retour
17
Taïga
Interminable, la forêt suédoise
Le miroir trop calme des lacs
Au bord desquels
- droite impeccable-
File une route rapide
J’ai voulu fixer sur la pellicule
Cette rencontre
Cet instant
Où le renne s’est arrêté
Inquiet,
Pour m’observer
Le rideau de nuages lourds
S’est déchiré,
Soudain
Et d’un bout à l’autre du ciel
L’arc aux sept couleurs s’est tendu
Alors, nous nous sommes couchés
Sur l’herbe à peine sèche,
Et nous avons dormi
18
La fête
Une de ces fêtes nordiques
Où coule l’alcool en torrents
Et des anchois frits à la pelle
Où la musique se vomit
Et des jeunes gens y venaient,
Le visage poudré
Et les ongles noircis
Et la lèvre trop rouge
Sur une scène,
Un guitariste obèse,
Le stetson incliné sur le crâne
Chantait un folk américain
En vidant quelques chopes
Et cette foule allait,
Venait, flux de la mer
Et nous, passant au fond
Du golfe de Botnie
Nous nous laissions éclabousser
19
A Oulu, en Finlande
La plage de Nalli Kari
Offre sa courbe impeccable
Où des joueurs de jokari
Seuls courent sur le sable
Ce sable clair de la baie
Forme avec les flots noirs
De la Baltique en pataugeoire
Un contraste parfait
Dans le ciel bleu carte postale
(le même bleu exactement dont on a repeint les cabines de pin)
Des troupeaux de nuages passent,
En ayant l’élégance fugace
De laisser au soleil son cristal...
Une tour de guet élancée,
Destinée aux maîtres-nageurs
Dirige vers l’azur sa pointe de fusée
Mais les surveillants sont ailleurs
Un filet de volley,
Des jeux pour les enfants
Et la proximité
D’un complexe hôtelier
En font un site touristique
De qualité irréprochable
Mais un détail encore:
Fin juillet,
à Oulu,
il n’y a plus de baigneurs
20
Dans le sauna, la nuit,
Quand il n’y a plus personne,
Les craquements des pierres chaudes
Seuls troublent le repos
Je me suis assis dans la pièce
Brûlante, laissant mes membres,
Lentement, retrouver leur chaleur...
C’est l’aube
Par dessus le lac, des nuages garance
Annoncent le soleil
Tout est silence,
ou presque
Les pierres parlent...
Et puis, rasant les eaux,
S’élancent des oiseaux,
Leurs cris aigus déchirant l’air
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Alesund, le détroit...
Au loin clignotent les faisceaux des phares
Iles semées
Dispersées
Fracassées
Et dont la sombre découpe
Passe, fantomatique,
Sur un ciel qui n’en finit pas
De s’éteindre
Ce même soleil, je l’avais vu renaître,
ce matin, sur le lac...
Le paquebot, machines ronflantes,
trace sa route,
long sillage blafard,
qui suit la poupe,
et garde la mémoire.
La Lune, à son tour, entre en scène
Ronde
Polie
Brillante
Et son reflet
Etale sur les eaux
Une nappe d’argent liquide
Une nuit passe sans sommeil
22
Stockholm
Rues étroites du vieux quartier
Où, dans la cathédrale,
Un Saint Georges étonnant
terrasse son dragon
Palais Royal,
coque vide,
aujourd’hui,
que le roi s’est mis en appartement,
malgré une garde d’honneur
aux casques rutilants
Leurs majestés ont préféré
A ce grand palais triste et gris
Prendre un logement plus bourgeois,
Ou bien peut-être plus humain
Sur le bras de mer,
Un drakkar factice
Motorisé diesel, glisse
Mais quoi ?
Elle est si belle,
cette ville...
23
Retour
Les grues du port d’Helsingbor,
Grands échassiers tranquilles
Indifférentes
Et, là-bas, le rivage danois
Quitter la Suède,
Déjà...
Il reste en nous,
brume violacée,
une ombre de regret
Et une nostalgie
De toutes les Norvèges,
De ces villes Finlandes
Trop vite traversées,
Et de cet art de vivre
Que nous n’aurons,
je crains
Moins qu’à peine effleuré
Y revenir, un jour...