Entretien avec Jean-Pierre Fontana

(Première publication : Revue Gandahar, Hors-série N°1, septembre 2015)

 

JPF : Derrière le personnage débonnaire et parfois jovial se cache un homme mystérieux qui m’adresse parfois des messages (autrefois des carnets) depuis les confins de la Russie ou des îles caraïbes, que sais-je encore ? Qui est donc cet arpenteur de notre monde ?

PG : Vaste question qui pourrait donner deux ou trois cents pages de réponse. J’espère un jour le faire d’ailleurs. Un homme curieux finalement. Je crois que ce qui domine dans ma vie et dans mes voyages, dans ce que j’ai fait sur le plan professionnel, c’est la curiosité, l’envie d’aller voir ce qui se passe ailleurs, l’envie de rencontrer d’autres planètes et de savoir comment ça se construit dessus, comment fonctionne la société. Les voyages, c’est vrai que c’est un très vieux rêve. J’ai eu la chance pendant quatre ans et encore un peu maintenant d’être expert international en administration. Rien de mystérieux. Des gens se sont plus quelquefois à imaginer une espèce d’agent secret. Si j’étais agent secret, je n’aurais pas fait une telle publicité sur mes voyages. En fait j’étais Tintin. Pendant quatre ans de ma vie, j’ai été Tintin. J’ai passé ma vie dans les aéroports, dans des tas de pays, en essayant d’apporter quelque chose aux gens, pas uniquement pour voir, j’y allais pour travailler, pour répondre à des questions, pour apporter des connaissances, des compétences. Donc, il y a cette curiosité, et puis aussi autre chose, c’est l’écriture... qui a été une évidence depuis le début. Même si je n’y ai pas consacré l’essentiel de mon énergie, c’est la seule constante. Dès mes cinq ans, je le savais.

JPF : Outre tes activités professionnelles, tu as entrepris, avec enthousiasme et compétence, un parcours hautement risqué dans les couloirs de la science-fiction, à savoir : une revue et l’organisation de conventions, sans oublier l‘écriture. Commençons par cette dernière, quand as-tu attrapé le virus de l’écriture ?

PG : Quand j’ai appris à écrire ! Et comme j’ai appris un peu plus tôt parce que ma mère était institutrice, c’était donc vers mes quatre ans et demi cinq ans. Je me rappelle même le titre de mon premier livre que j’ai écrit suite à la visite d’un ami de mes parents qui vivait au Cameroun, à l’époque, et qui était guide de safari. Du haut de mes quatre ou cinq ans, je lui ai posé des tas de questions sur la chasse à l’éléphant. Le titre de mon premier livre est donc « la chasse à l’éléphant » où je décris les manières hautement fantaisistes (car il m’a raconté plein de blagues) d’attraper des éléphants. Par exemple en coupant un arbre tout en le laissant debout jusqu’à ce que l’éléphant s’appuie dessus pour dormir... debout ! (rires) C’était mon premier livre ! Et puis, à partir de là, on retrouve toujours l’écriture... En mai 68 par exemple. J’ai retrouvé, il y a une dizaine d’années, un roman oublié, complètement immergé dans cette époque. Mon personnage avait mon âge, 16 ans. Très engagé dans le mouvement lycéen de cette période, il était aussi le fils d’un chef d’entreprise qui venait d’avoir un infarctus. Dans l’obligation de prendre la suite de son père, il se trouvait donc à la fois engagé dans ce mouvement de rébellion et contraint d’assumer une position hiérarchique, à son jeune âge, dans la société. C’était donc mon premier vrai livre, sérieux celui-ci.
J’écrivais également des nouvelles dans le journal du lycée que j’avais créé vers 13 ou 14 ans. Des nouvelles et même un début de roman de science-fiction qui se termine sur un suspens absolu, et je ne sais plus du tout quelle est la suite, c’est terrible ! (rires)
Puis je suis parti vivre au Maroc pendant trois ans. Là-bas, j’ai écrit beaucoup de SF, mais sans rien en faire à cause de l’obstacle de la dactylographie.
Ensuite, je suis rentré en France en 1980 et dans le mouvement des radios libres, j’ai créé une émission de science-fiction où j’interviewais des gens qui n’étaient pas du milieu de la SF, à une ou deux exceptions près, mais j’essayais d’avoir une lecture science-fictive de l’interview. Je passais également des disques et je lisais des extraits. Et puis vers la 2e ou 3e émission, je me suis dit : mais pourquoi n’écrirais-je pas aussi une nouvelle de science-fiction ? À partir de là, j’ai donc écrit une nouvelle toutes les semaines et cela m’a donné un apprentissage d’écriture très disciplinée. Or, je suis à la fois discipliné et tout à fait indiscipliné, un peu procrastinateur. Ces nouvelles étaient publiées dans la presse locale et l’imprimerie fermait à 11 h le mercredi. La plupart du temps, à 10 h je ne savais pas encore quel serait le thème de la nouvelle et pourtant je la déposais bien à 11 h. (rires)
J’ai fait cela pendant deux ans et ensuite, je me suis livré à d’autres sports puisque je suis entré à l’ENA... Je me suis mis alors à écrire de la « littérature blanche » et pendant quinze ans j’ai écrit tous les ans ce que j’appelais mon « roman de l’été » et dont quelques-uns ont été publiés. Très peu de science-fiction à cette période sauf une réécriture de mon premier roman dont Jacques Goimard m’avait dit avec raison qu’il n’était pas au point et aussi « La Décroisade ». Sinon, plus de SF !
Et puis un jour, j’étais sous-préfet à l’époque, je reçois un fax du Ministère de l’Intérieur, assez mal imprimé d’ailleurs, qui organisait un concours de nouvelles dont les dix premières seraient publiées dans la revue Civique qui tirait tout de même à 65.000 exemplaires, ce qui n’est pas rien. Donc, j’écris une nouvelle « l’Archiviste » et je l’envoie. Neuf ou dix mois après, j’avais complètement oublié cette affaire, et une collègue m’appelle au téléphone et on me dit :

– Tu as gagné !
– Ah bon, qu’est-ce que j’ai gagné ?
– Le concours de nouvelles !
– Ah oui, je fais partie des dix ?
– Non tu as gagné le premier prix !
Alors là, je me dis « Pas mal ! » et (pour l’anecdote) ma correspondante ajoute :
– Bon voyage !
– Comment ça bon voyage ?
En fait, je n’avais pas lu la fin du fax qui était réellement trop mal imprimé.
– Eh bien oui, le premier prix gagne une croisière sur le Nil de huit jours pour deux personnes !

... (rires)... Donc, d’une certaine manière ce doit être le texte qui m’a rapporté le plus.
C’est ce qui me relance dans la science-fiction. Et comme il commençait à y avoir pas mal de choses sur Internet, je me suis rapproché d’un site que tenait Fabrice Lhomme, libraire à Quimperlé, je crois. On se présentait des textes et on les discutait. Et un jour, on a cette idée, à trois avec Fabrice et Cyril Gazengel : que se passerait-il si je prenais ton texte pour le réécrire ? Et on a monté quelque chose avec ça. On a recruté neuf autres auteurs, donc nous étions douze. La règle était de donner son texte au suivant et chacun des autres, dans un ordre différent pour chaque texte, le reprenait pour qu’il soit le meilleur possible. Cela donnait en théorie cent quarante-quatre textes (un peu moins en réalité pour des raisons de disponibilité de chacun) que nous avons rassemblés dans un recueil publié à quelques exemplaires. À la fin de l’expérience, comme nous ne nous connaissions pas tous physiquement, nous nous sommes retrouvés dans un restaurant et là, nous avons découvert que la plus jeune avait dix-neuf ans, que le plus âgé en avait soixante-neuf, que parmi eux il y avait un membre du GIEC, un sous-préfet, un musicien : John Lang qui est devenu Pen of Chaos, également créateur du Donjon de Naheulbeuk. Enfin bref, beaucoup de diversité. Et Nicole, mon épouse, qui était aussi présente à ce repas me dit :
– Mais c’est extraordinaire, vous ne vous étiez jamais rencontrés et on aurait dit des gens qui, ayant passé des mois voire des années ensemble, se retrouvaient après une séparation. Et ça a changé ma façon de voir les choses.
Après cette expérience, j’ai eu l’idée de « Comment les choses se sont vraiment passées », nouvelle uchronique et je l’ai envoyée à un prix que je ne connaissais pas : le prix Infini. J’ai gagné le prix Infini. Sauf que personne n’a pensé à me le dire. Il était prévu que je sois prévenu pour que je puisse me rendre à la convention de SF de 2001, mais chacun a cru que l’autre s’en était occupé, si bien que je n’étais pas là lors de la remise du prix. J’ai donc reçu mon chèque dans une enveloppe, content, mais frustré, tout en apprenant en même temps l’existence des conventions de science-fiction. Depuis, traduite, cette nouvelle a été publiée aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, et en Russie avec deux trads, une depuis la version française, et l'autre depuis la version anglaise. En ce moment, une adaptation théâtrale se joue au Khazakstan, et si j'en crois les relevés de la SACD, avec un succès certain...
En 2003, la convention organisée par Sara Doke avec l’aide d’Alain Le Bussy se déroulait en Belgique (donc, pas loin de chez moi). Tu y étais Jean-Pierre, je m’en souviens puisque je t’ai transporté en voiture ce jour-là. J’ai donc découvert l’ambiance de ces conventions et à un moment, Raymond Milési a dit :

– On n’a personne pour la convention de 2006.
Et là, j’ai levé la main.
– Si, il y a moi !...

JPF : J’aimerais que tu nous contes, maintenant, comment tu as pris en main la destinée de la revue Galaxies, lâchée par son ancienne directrice Stéphanie Nicot.

PG : Tout vient dans la droite ligne de la convention de 2006. Une de mes idées a été d’organiser un concours : le concours Clavène, mais aussi de créer un fanzine, Géante Rouge, en me disant : ce fanzine à l’ancienne aura quatre numéros, photocopiés, agrafés, etc. J’ai donc réalisé ces quatre numéros avec des invités : Lucie Chenu pour le premier, Alain Damasio pour le second, Xavier Mauméjean pour le troisième et pour le quatrième, j’ai publié les nouvelles qui avaient gagné le concours Clavène. Là, un certain nombre de personnes m’ont dit : il faut continuer. Alors j’ai fait un numéro 5 consacré à Alain Le Bussy, un numéro 6, etc. C’est ainsi que Géante Rouge a continué. Un peu plus tard, dans Galaxies, Stéphanie Nicot cite ce que j’avais dit dans l’édito d’un numéro de Géante Rouge. C’est notre première connexion. Par la suite, elle me propose de réaliser un dossier dans Galaxies... Et puis le temps passe, Galaxies a les problèmes qu’on connait, arrête de paraître. Juste après, pendant les Utopiales, je discute avec Alain Damasio et Ketty Steward (une auteure déjà publiée dans Géante rouge et à ce moment la correctrice du fanzine) et Stéphanie Nicot arrive. Elle dit, en me regardant avec insistance :

– Je cherche quelqu’un pour reprendre Galaxies.

Je suis allé demander à Nicole si elle était d’accord et j’ai dit oui.
J’ai donc repris Galaxies suite à un accord conclu très rapidement avec Stéphanie, toujours très speed, comme tu sais, puis de façon plus formelle à Sèvres lors du salon organisé par Jean Luc Rivera. Au mois de mai 2008 a été lancé ici même, à Épinal, le numéro 1 de Galaxies. L’imprimeur avait pris du retard et je l’ai donc reçu sur place, ici, mais il se trouve que la couverture était horrible, complètement ratée. Donc, en fait, Olivier Girard, de Bifrost, m’a fort gentiment donné les coordonnées de son imprimeur et on a fait une nouvelle sortie appelée 1bis. Ensuite, j’aurais pu me décourager et passer à autre chose, mais je me suis tellement fait taper sur la figure par les chroniqueurs (surtout un) que je me suis dit : « Pas question que je me couche ! »

JPF : Revenons en aux conventions, là encore, sacré challenge ! Ça commence à Bellaing si je ne me trompe pas. Explique-nous un peu ce qui t’a pris de vouloir organiser une convention.

PG : C’est un peu comme, sur le plan professionnel, pourquoi je suis entré à l’ENA : pour comprendre comment fonctionne la machine. J’avais tout de même organisé des choses, y compris dans mon métier et l’organisation d’une convention ne m’a pas paru insurmontable, je n’ai donc pas réfléchi beaucoup, j’ai levé la main, j’y suis allé et on a fait celle de Bellaing 2006 avec rien que des moments plaisants et des anecdotes.Je ne sais pas si tu te souviens, le premier jour, on mangeait sous des tentes dont les toits ont percé, il y avait donc à boire et à manger... (rires)... ou le film dont je n’ai jamais réussi à brancher la bande-son, heureusement, il était muet !...Cela m’a donné envie de recommencer et je me suis donc porté candidat pour celle de 2009.
Je conserve d’ailleurs un meilleur souvenir de celle de 2006, peut-être parce que c’était la première, mais aussi parce que la deuxième fois, on a eu ce problème des auteurs syriens qui n’ont pas eu leur visa et n’ont pas pu arriver. J’aurais pu continuer et repartir pour 2012, mais j’ai laissé passer du temps et me suis occupé d’autre chose.
En 2008, au moment du lancement de Galaxies, ma fille aînée qui est comédienne a épousé un des élèves de son cours de théâtre, Samuel, qui est d’Amiens. J’avais été en poste dans la Somme, je connaissais Amiens et comme Samuel était également versé dans l’animation et le spectacle, je lui ai proposé d’organiser une convention à Amiens. Bien sûr, il ne savait pas ce que c’était qu’une convention, mais il m’a dit banco ! Nous nous sommes donc présentés pour celle de 2014 et nous avons remporté le vote devant une absence complète de concurrence et nous avons réalisé cette convention qui n’était pas mal non plus, finalement, à part la pluie le dernier jour, mais ça, c’est une constante, il suffit que j’organise une convention et hop ! on prend la pluie. Cette convention d’Amiens s’est terminée sur un débat à propos d’une convention européenne, voire mondiale.

JPF : Justement, tu as le projet d’organiser une convention européenne !

PG : Oui, absolument ! Jusque là j’étais plutôt porté vers les conventions françaises et c’est Alain Le Bussy qui m’a poussé à me rendre à une convention européenne où la francophonie n’était quasiment pas représentée. En fait ça a commencé par le grand prix de l’Université polytechnique de Catalogne, à Barcelone donc où Alain Le Bussy était invité d’honneur en 2010. C’est lui qui devait remettre le prix. C’est Yoss, l’auteur cubain qui a remporté le prix cette année-là. Juste avant avait eu lieu la convention de Grenoble. Il y a cette photo qu’on trouve sur la page Facebook du prix Le Bussy, maintenant, où Alain annonce les prix Infini. En fait, je l’ai fait à sa place, car il avait beaucoup de mal à parler. Il me dit : écoute, je vais être opéré, ce ne sera pas grave. C’est juste avant le prix UPC à Barcelone, est-ce que tu pourrais me remplacer là-bas ? Je l’ai donc remplacé... et malheureusement, je l’ai remplacé pour prononcer son éloge funèbre... C’était dix jours après son décès... Je l’ai donc aussi remplacé naturellement comme président du prix Infini, dont j’avais été désigné comme vice-président, et personne ne s’est posé la question, aucune décision n’a été prise, ça s’est fait comme ça, voilà tout !
Je suis donc allé dans des conventions européennes pour constater qu’il n’y avait pratiquement pas de français. La dernière convention européenne française avait eu lieu en 1992, ça commençait à dater. J’ai commencé à me dire, mais comment pourrait-on faire ? À la convention européenne de Zagreb en 2012, Galaxies a remporté le prix de la meilleure revue européenne, à ma grande surprise, car là aussi je n’avais pas été prévenu. C’est le directeur de la revue croate qui me dit : « viens regarder, tu verras comment ça se passe. » Et brutalement, j’entends : prix de la meilleure revue : Galaxies ! Je suis tout au dernier rang puisque je suis juste venu regarder et je vois mon excellent ami Georges Bormand se lever pour aller chercher le prix à ma place, croyant que je ne suis pas là. Et moi dans le fond : « Je suis là, je suis là ! » et je descends tout l’amphithéâtre en courant pour aller chercher mon prix...
C’est à la convention d’Amiens que je parle d’une convention européenne française qui serait à la portée d’une équipe qui crée la convention française, ce qui n’est pas le cas de la convention mondiale, car là, c’est autre chose. J’ai donc annoncé, lors d’une des conférences, que j’allais présenter la candidature d’Amiens pour les conventions couplées, Française et Européenne de 2018.
Le mois suivant, on est allé à la convention européenne de Dublin et j’ai annoncé notre candidature, je l’ai écrit, j’en ai parlé... et cette année, à St Petersburg, j’ai présenté un pré-programme, une affiche et nous avons été chaudement applaudis parce que justement, ils ont envie qu’on fasse ça en France, car ça fait longtemps qu’on ne l’a pas fait. Pour le moment, il n’y a pas d’autre candidature. Le vote aura lieu à Barcelone pendant la convention animée par Ian Watson qui est d’ailleurs l’agent pour l’Espagne de la convention 2018 d’Amiens. On espère donc être retenus et organiser cette convention. Ce n’est pas simple, car la langue officielle d’une convention française, c’est le français alors que la langue officielle d’une convention européenne, c’est l’anglais. On va donc faire cela de manière conjointe avec un seul droit d’entrée, mais concrètement, la convention française va se tenir à l’endroit où on a organisé celle de 2014 et la convention européenne tout près de là : sans doute à la Maison de la Culture que tu as vue, c’est à 150 m. On prendra les repas au même endroit qu’en 2014 et pour les conférences, si on pouvait avoir de la traduction simultanée, ce serait génial. On verra si on peut faire ça avec l’université, mais on va d’abord attendre d’avoir été choisis.

JPF : Revenons-en à tes voyages. Combien de langues, peu ou prou, parles-tu ?

PG : Alors, prou, une : le français ! (rires), et pour le reste, je me débrouille quelque peu dans un anglais qui est certainement loin de celui des puristes. Après avoir essayé pendant longtemps de lutter contre, je m’enorgueillis maintenant de mon accent français, comme ça on m’identifie. Je suis capable de baragouiner en allemand, en russe, en espagnol et je me suis trouvé un matin à Rome, me réveillant après avoir bu deux cocktails la veille, pour m’apercevoir que j’avais lu un livre de Georges Steiner, le philosophe, en Italien. Donc je ne parle pas l’italien, mais je peux le lire.
Un autre jour, je me trouvais à Brasilia avec la médiatrice du Peuple brésilien et là ce fut très drôle. On discutait avec une interprète et puis l’interprète a dû s’absenter. On a donc continué à discuter et pas de la pluie et du beau temps, nous parlions du sens de l’institution des médiateurs en droit public et international. Vingt minutes après, la traductrice est revenue et nous a regardés, complètement stupéfaite, et c’est là que nous nous sommes rendu compte, la médiatrice et moi qu’elle parlait portugais et moi français et que nous nous comprenions parfaitement mutuellement.
À l’époque où la Yougoslavie était encore un seul pays, j’avais aussi appris le serbo-croate. Et j’ai écrit vingt-cinq poèmes en serbe. J’avais des amis là-bas à ce moment-là. Mais maintenant, c’est une langue que j’ai oubliée.

JPF : Tout ceci nous amène à nous interroger sur ta jeunesse, ton enfance. D’où viens-tu ? Quel a été ton parcours ? À quel moment la mouche SF t’a t-elle piquée ?

PG : Ouh là là, c’est vaste. Mon enfance est une enfance solitaire, car je n’ai pas de frère ni de sœur. C’est une enfance avec des parents aimants, mais qui travaillent tous les deux et ne sont pas toujours disponibles, donc je passe beaucoup de temps tout seul. Une autonomie assez tôt. Je suis né en 1952 donc il ne doit pas y avoir beaucoup d’enfants de mon âge qui avaient, en totale liberté, un téléviseur dans leur chambre à quatre ans. Je n’en ai jamais abusé d’ailleurs. J’écoutais des disques et je jouais à me raconter des histoires. J’ai eu une enfance, une éducation qui n’a pas été tellement genrée, comme il est d’usage de dire. J’ai appris aussi bien à scier et à visser qu’à tricoter et à repasser, je jouais avec ma panoplie de cow-boy et avec mes poupées pour lesquelles je cousais aussi des vêtements, donc voilà, je trouve que c’est une grande richesse d’avoir appris tout ça. Tout m’intéressait, avec une grande passion pour l’histoire, toujours. Mon père était artisan, commerçant (en électronique d’une façon générale). Ma mère était institutrice et j’ai grandi, pas loin de la frontière belge, dans une petite ville du Nord qui est celle où l’on a découvert le charbon en 1732 en France. C’est donc dans le bassin houiller du Nord.
Et puis dans cette enfance, la SF... des petits livres pour enfants qu’il y avait dans une épicerie dans le village de mes grands-parents, avec des romans pas bons du tout, mais qui étaient de la SF déjà... et puis surtout une caisse de livres du Fleuve Noir qui m’a été donnée par un représentant de commerce qui passait chez mes parents et dont le père était le colonel Rémi, le résistant, qui était publié au Fleuve Noir et recevait toutes les sorties en SP sans savoir qu’en faire. J’ai donc reçu cette caisse avec de tout dedans, mais la seule chose qui m’a intéressée, c’était les livres de science-fiction. Et tout particulièrement, le premier que j’ai lu, qui était « la septième saison » de Pierre Pélot qui signait Pierre Suragne. C’est un livre qui reste pour moi un grand moment. Le deuxième a été « Pour une autre terre » de Van Vogt et puis j’ai aussi toujours été un grand lecteur de Jules Verne. À ce jour, j’ai lu cinquante-six des romans de Jules Verne. Il y en a donc encore quelques-uns que je peux découvrir.
Quand je me suis mis à écrire, c’est vrai que la science-fiction est venue naturellement. À dire vrai, au début, ce qui me semblait très mystérieux, c’est comment on pouvait écrire un roman, comme ceux que j’ai écrits après et qu’on appelle de littérature générale, un roman qui raconte finalement la vie des gens. Pour moi qui étais enfant unique et qui n’avais pas une grande expérience des relations avec les autres, ce n’était pas évident. La science-fiction me semblait plus facile à écrire et me venait plus naturellement, permettait à mon imagination de se libérer. C’est comme cela que j’en suis venu à la science-fiction.

JPF : Le passé, c’est aussi un couple. Je ne me souviens pas t‘avoir jamais rencontré sans que t’accompagne Nicole, celle qui est ta femme. Il faut une sacrée complicité pour accepter la vie aventureuse et trépidante qui est la tienne.

PG : Oui, absolument ! Mais ce n’est pas du passé, c’est du présent. On s’est rencontrés au Lycée, en terminale, dans ma deuxième terminale, parce que j’ai raté mon bac une première fois. On s’est mariés, nous avons cinq enfants qui tous écrivent, jouent, etc., et puis maintenant nous avons un petit-fils et cinq petites filles. Effectivement, je pense qu’il faut qu’on ait été capables l’un et l’autre de ne pas vouloir rester ce qu’on était dans notre parcours à nous, mais qu’on ait eu envie réellement de construire un couple, à travers la joie et les pleurs, à travers le feu et la glace, mais de le construire.
Quand j’ai décidé sur le plan professionnel d’infléchir complètement ce que je faisais, j’ai pu le faire parce que Nicole était d’accord, qu’elle était prête à assumer. Après tout, je suis parti alors qu’on avait quatre enfants, pour m’installer une année à Paris et suivre un cycle préparatoire à l’ENA, ce qui fait que Nicole avait cinq enfants puisque je rentrais le week-end avec mon linge à laver et mes mauvaises notes qui sont ensuite devenues bonnes. C’est pareil pour Galaxies et pour les conventions : si elle m’avait dit non, je ne l’aurais pas fait. Et je crois que j’ai respecté toujours son espace de devenir et de liberté. En tout cas j’ai essayé.

JPF : Venons-en à présent au futur, normal lorsque l’on baigne dans la science-fiction, quels sont tes projets à court et moyen terme ?

PG : En ce qui concerne la science-fiction, ceux dont on a déjà parlé : les conventions française et européenne en 2018, la vie de la revue Galaxies. Et puis, j’aimerais lancer une revue d’uchronie... Mais on ne peut pas tout faire en même temps.
J’ai autre chose dans ma vie que la science-fiction, c’est le théâtre et j’aimerais pouvoir m’y consacrer davantage. Je fais partie de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), je perçois des droits sur des pièces qui sont jouées et j’aimerais pouvoir en créer d’autres. Avant Géante Rouge, j’avais créé la revue Répliques qui publiait des pièces de théâtre. Il y a eu neuf numéros en tout dont un numéro qui était consacré au thème : théâtre et science-fiction. Le théâtre est important pour moi, même si je ne suis plus monté sur les planches depuis plus de dix ans et jusqu’à mon interprétation de Jules Verne dans la pièce que j’ai écrite et qui a été donnée lors de la convention de 2014 (Goodbye, Mr Verne), sous la direction de ma fille ainée, et avec mes deux filles comédiennes pour partenaires, alors que je jouais assez régulièrement. À ce propos, Ian Watson doit traduire cette pièce et il est prévu de la rejouer, ou plutôt de l’adapter en anglais pour la convention européenne de 2018.
Et puis il y a toujours l’écriture. Finalement, quand on a écrit plutôt beaucoup, comme moi, je dois en être à cinquante romans, trente pièces de théâtre, des centaines de nouvelles, et qu’on a plusieurs autres vies en parallèle, on n’a pas forcément le temps de courir les éditeurs... Dans ma bibliothèque, il y a celles qui ont été publiées, mais il y a aussi celles qui sont parties directement dans ce qu’on appelle le tiroir... Voilà, j’ai envie de les faire vivre. Dans les projets qui me tiennent à cœur, il a aussi le cycle du Sommeil des Dieux dont le premier volume est sorti l’an dernier. À la base, c’est une nouvelle que j’ai écrite quand j’avais dix-sept ans. Dix ans plus tard, c’est devenu un gros livre de huit cent cinquante pages et quand j’ai publié Une planète pour Copponi au Fleuve, Philippe Hupp m’avait demandé de la transformer en différents livres au format Fleuve Noir et on était arrivé à sept romans. Là, je suis en train de les recomposer. Il y aura six volumes au total. En même temps, Rivière Blanche m’a proposé de publier les romans du cycle de Khopne : Une planète pour Copponi, Celui qui attendait, qui sont des republications auxquels j’ajouterai Pour la gloire de Kaserma, inédit depuis 2006et le quatrième roman du cycle de Khopne : Obote qui êtes aux cieux, qui aurait dû être écrit depuis des années et que j’ai achevé en avril 2015, au rythme d’un chapitre par jour dans un café de Saint-Petersbourd. Et là, j’ai vu que j’avais conservé ma faculté d’écrire que je croyais avoir perdue après des années de silence.
Il y a donc les anciens textes que je réécris et puis aussi les nouveaux. J’en ai un dont j’ai terminé un premier jet qui met en scène à la fois Jeanne d’Arc, les Chinois avec leurs vaisseaux trésors et les Aztèques donc j’imagine simplement qu’un de ces vaisseaux-trésors, après avoir passé un temps au Yucatan pour se réparer un peu, repart en embarquant des Aztèques et arrive dans les environs de Rouen deux jours avant l‘exécution de Jeanne d’Arc. Donc il y a Gilles de Rais, il y a Christine de Pisan, il y a Jacques Cœur et un sorcier bantou, il y a les humanistes italiens, il y a plein de choses. On a un premier jet, maintenant, il faut que ça grossisse. Bien sûr, il est nécessaire de se documenter. En écrivant ce premier jet, j’ai déjà appris des tas de choses sur l’Amérique précolombienne par exemple et je me suis rendu-compte que 1431, année du procès de Jeanne d’Arc était en même temps l’année de fondation de l’empire Aztèque. C’est aussi l’année de naissance de Vlad Dracul en Roumanie. Il y a comme ça des concentrations d’événements et après, ce qui est amusant c’est de faire se rencontrer les choses.

JPF : Enfin, comme nous n’avons pas, de loin s’en faut, fait le tour de la planète Gévart, qu’aimerais-tu ajouter que nous n’avons pas pensé à te demander ?

PG : La question qui tue... On n’a pas parlé par exemple de l’espace, de la conquête de l’espace et là je ne parle pas de science-fiction. Je fais partie d’une génération pour laquelle les héros s’appelaient Gagarine, Grissom, Shepard, Neil Armstrong, etc. C’est quelque chose qui a beaucoup compté pour moi. À l’âge où aujourd’hui les jeunes peuvent suivre les joueurs de football, collectionner leurs photos, moi j’avais des cahiers remplis, et je sais que toi aussi, avec, à la seconde près, le temps passé dans l’espace par les astronautes et les cosmonautes et mon rêve c’était ça ! C’était un temps tout de même où on était persuadé qu’en l’an 2000 il y aurait quelques dizaines de milliers de personnes sur la Lune et en orbite terrestre. C’était le rêve de l’espace et pour moi ce rêve est allé jusqu’à une rencontre, quand j’avais dix-huit ans, avec Pavel Popovitch qui était un des premiers cosmonautes soviétiques, qui m’avait dit, cinq ans avant les accords Giscard — Brejnev, qu’un jour il y aurait des cosmonautes français dans Soyouz et d’une certaine manière, si j’ai fait des études de géologie, c’est parce qu’il m’a dit : « Le meilleur moyen d’y aller, c’est sans doute de faire des études scientifiques ». Sinon, je serais plutôt allé vers l’histoire. J’ai donc fait géologie, j’ai été candidat, j’ai même été présélectionné, mais je n’ai pas pu aller passer à Toulouse les dernières sélections où, d’ailleurs, je n’aurais sans doute pas été retenu puisqu’ils n’ont pris que des pilotes d’essai. En fait j’ai eu une hépatite virale qui était un facteur éliminatoire. Mais au moins, je suis allé jusque là, j’ai fait les premiers pas sur le rêve de l’espace, c’est quelque chose qui compte... Et j’ai la conviction que ça sera un jour une réalité, j’ai cette conviction. Je ne sais pas quand, mais je suis très optimiste.

 

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