Pierre Gévart: «La Science Fiction a un rôle à jouer»

Parfois perçue comme confidentielle, la science-fiction (S.F) s’expose durant quatre jours au Pôle cathédrale à Amiens à travers une convention européenne. Rencontre avec son organisateur.

Originaire du Nord, Pierre Gévart possède un CV fourni. Parmi ses mentions, une carrière de sous-préfet débutée à Vervins, achevée à Péronne. Il consacre aujourd’hui une large partie de son temps libre à sa passion : la science-fiction. À son initiative, environ 400 invités issus de 36 pays vont échanger sur ce thème à partir d’aujourd’hui, 19 juillet, et jusqu’à dimanche à Amiens dans le cadre d’une convention européenne. Conférences, interviewes, tables rondes, pièces de théâtre, vente aux enchères… la programmation donnerait presque le tournis.

Quel est le but de cette convention ?

C’est d’aller chercher la science-fiction partout où elle se trouve et de mettre les gens en relation, comme lorsque j’étais sous-préfet. Si un écrivain croate rencontre ici quelqu’un capable de traduire l’une de ses nouvelles, c’est que nous aurons réussi.

Pourquoi avoir choisi Amiens pour cette convention ?

Il y a 4 ans, Amiens avait déjà accueilli une convention nationale au cloître Dewailly. Un jour, à l’occasion d’une autre convention, des gens de Nice ont émis l’idée d’une convention mondiale en France. J’ai proposé d’organiser d’abord un rendez-vous européen et j’ai déposé la candidature d’Amiens. Mon passé professionnel fait que j’ai des liens avec cette ville puisque je venais à la préfecture de région. Mes deux filles habitent près d’ici dont l’une fait le festival Basse-cour à Poulainville. Et puis, Amiens est un peu prédestinée avec Jules Verne et On a marché sur la bulle (association qui organise un festival de BD chaque année). C’est plutôt l’aspect culturel qui a primé dans ce choix.

Quelle est votre définition de la science-fiction ?

C’est une littérature expérimentale qui permet de se projeter dans un monde qui n’est pas encore ou qui n’a pas été. C’est aussi un moyen de réfléchir sur l’actualité et l’Histoire. L’important, c’est que le récit soit argumenté. Si j’écris que par magie on peut se retrouver propulsé au bout du monde, ça ne va pas ; si je décris le processus de téléportation, là, c’est de la science-fiction.

Ce rendez-vous est-il réservé aux seuls initiés ?

Non, chacun peut venir découvrir. Il faut bien rappeler qu’il s’agit d’une convention et non d’un salon. Il y a une différence sur le prix d’entrée. Ici, c’est 60€ pour participer aux quatre jours. Sachant que je loge une quinzaine d’invités et que je prends en charge certains transports depuis l’étranger. L’argent servira aussi aux chèques et trophées remis aux lauréats primés ici et dans d’autres prix ailleurs. J’ai choisi de ne solliciter aucune subvention publique pour être plus libre dans la programmation. Pour autant, il y a un droit d’entrée à 20 € la journée et le public a aussi la possibilité de faire des incursions sur certains rendez-vous comme la lecture en picard d’une nouvelle de Philippe Curval (lire par ailleurs). Il faut prendre la carte du club que je préside, elle est à 5 € et donne droit à une boisson.

Que peut-on dire de la production française en matière de science-fiction ?

Le style français est très dystopique : c’est « tout va mal mais vous allez voir, ça va être encore pire ». Certains auteurs disent qu’ils n’aiment pas le mot « gentil ». Quand on observe la taille du lectorat français, on se demande si cela ne fait pas fuir les gens. Si vous additionnez la revue que j’édite, celle de mon concurrent et une autre au Quebec en langue française, nous en sommes à 600 abonnés. Aux États-Unis, la revue Asimov tire à 17 000 exemplaires et en Chine, on tire à 400 000 exemplaires. En France, les gens disent souvent « J’ai lu de la science-fiction quand j’étais petit », comme si ce n’était pas pour les adultes. Pourtant il y a quelques années, j’ai fait partie d’un groupe de travail piloté par le Ministère de la Défense. L’idée était de se projeter : la force de l’auteur de science-fiction, c’est qu’il n’est pas dépendant des statistiques, il peut envisager la rupture et aller jusqu’au bout quitte à déplaire.

Des pièces de théâtre vont être jouées : la science-fiction peut-elle se passer des effets spéciaux propres au cinéma ?

Oui parce que si vous prenez l’une des pièces jouées, Carthagene encore, son auteur n’a pas conscience de faire de la science-fiction. C’est une pièce qui parle du temps qui passe dans une société un peu totalitaire, ça évoque 1984 d’Orwell. Il y a aussi une pièce dont je suis l’auteur et qui est jouée à la fois en français et en anglais, Goodbye, Mr Verne. C’est une pièce uchronique, c’est-à-dire qu’elle suppose qu’à un moment de l’histoire, un événement se produit et bouleverse son déroulement. Dans le cas présent, je m’inspire de la maison où habitait Jules Verne à Amiens, une voie ferrée passe tout près. Au XIXe siècle, le trajet Londres-Paris en train fait escale à Amiens. Cela signifie que quand HG Wells voyage, il passe à 50m du domicile de Verne. Vous ne trouvez pas scandaleux qu’ils ne se soient jamais rencontrés  (sourire)  ? C’est cela que j’ai imaginé.

Peut-on considérer Jules Verne comme un auteur de science-fiction ?

Si vous en parlez à un Vernien, vous avez une chance sur deux de vous prendre un pain sur la figure mais pour moi oui. Un jour, un auteur chinois m’a confié que dans son pays, on date les débuts de la science-fiction à 1902 soit l’année de la traduction en mandarin de Deux ans de vacances. Nous parlerons de Jules Verne, y compris à travers un travail sur son premier roman : Paris au XXe siècle, qui a été retrouvé dans un coffre.

Quels sont les autres rendez-vous immanquables ?

Il faut voir une des conférences sur l’Afrique. Je crois en l’avenir de ce continent. Il a connu de nombreux empires : l’Égypte, le Mali, Bornou. Autrefois, l’université de Tombouctou brillait quand celle de Paris balbutiait. À un moment, je vais installer un dialogue entre Philippe Curval et Moussa Ould Ebnou, un auteur mauritanien ; il sera intéressant de voir comment ils mettront en perspective leurs points de vue. La science-fiction a un rôle à jouer : en Inde par exemple, ils se servent de films de science-fiction pour promouvoir les technologies nouvelles utilisées en agriculture.

Pourquoi s’intéresser à l’Afrique dans une convention qui concerne l’Europe ?

Parce que je ne suis pas quelqu’un de simple (rires)  ; comme dit le roi : « Tel est mon bon plaisir ».

Que peut-on dire de la science-fiction sur ce continent ?

La grande caractéristique, c’est qu’elle est assez vivante dans l’Afrique anglophone et quasi inexistante dans la partie francophone. C’est un problème de débouchés : si vous voulez être lu, il faut écrire en anglais. Prenez l’exemple d’Aliette de Bodard, c’est une auteure française qui fait ses études à Londres et a remporté les plus hautes distinctions en écrivant en anglais. Quant à Philippe Curval, il a quelques textes qui ont été traduits en anglais mais ce n’est pas évident de trouver quelqu’un pour faire ce travail.

Cette vente aux enchères organisée samedi soir, qu’y trouvera-t-on ?

N’importe quoi. Plus ce sera n’importe quoi et mieux ce sera ! Par le passé nous avons vendu les bretelles de l’auteur Georges Pierru. Il y a eu un tampon encreur qui avait servi à rajouter un seul mot manquant à l’impression sur 1 500 exemplaires d’un ouvrage. En fait, l’intérêt de cette vente, c’est l’art de celui qui la conduit : vous pouvez avoir des choses précieuses qui partent à 3 € et d’autres sans valeur adjugées 100 €, c’est le talent du commissaire-priseur !

La convention européenne de science-fiction se tient du 19 au 22 juillet à Amiens au Pôle universitaire cathédrale, 10 placette Lafleur. Renseignements sur internet : eurocon2018.yolasite.com

<< Une lecture en picard >>

La science-fiction et la langue picarde sont-elles compatibles ? La convention tentera d’en faire la démonstration cet après-midi, de 15 à 16 heures dans l’amphithéâtre A du Pôle cathédrale. Olivier Engelaere, directeur de l’Agence régionale de la langue picarde tiendra une conférence sur les principales traductions réalisées depuis une dizaine d’années. S’ensuivra une présentation puis une lecture de Deathbook, une nouvelle de Philippe Curval traduite en picard par Jacques Dulphy, chroniqueur au Courrier picard. Le récit traite d’une version macabre de Facebook.

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